Homélie 4ème dimanche de Carême (B)
« Ils tournaient en dérision les envoyés de Dieu, méprisaient ses paroles, et se moquaient de ses prophètes ; finalement, il n’y eut plus de remède à la fureur grandissante du Seigneur contre son peuple. »
Étonnante façon de nous introduire à la joie de ce dimanche de Lætare ! La première lecture nous parle de la fureur grandissante de Dieu contre son peuple, à force de le voir se détourner de lui. Dieu a beau multiplier les prophètes, envoyer inlassablement des messagers, son peuple fait la sourde oreille et agit ouvertement contre la loi divine. Comment ne pas nous reconnaître dans ce peuple si dur d’oreille ! Dieu avait pris les devants en redonnant explicitement sa loi dans les 10 commandements mais ça n’a pas suffi. Son peuple veut édicter ses propres lois.
Lorsque l’oreille se ferme, c’est le cœur qui se ferme. Cette dureté de cœur avant d’être portée par un peuple collectivement, elle l’est d’abord individuellement dans le secret de nos consciences. Actuellement, on peut se demander ce que nous pouvons faire pour rouvrir le cœur de notre nation, à l’écoute de la loi d’amour de Dieu. La première chose à faire, c’est la conversion de notre propre cœur, de retirer la poutre qui nous empêche de voir. « Toute âme qui s’élève, élève le monde. » Cette communion entre tous les membres du corps du Christ, nous sommes appelée à la vivre d’une manière toujours plus profonde. C’est particulièrement dans les temps difficiles que le Christ nous invite à être le sel de la terre et la lumière du monde.
Cette mission première du chrétien de porter la lumière dans un monde parfois bien sombre peut nous paraître inabordable. Qui parmi nous peut prétendre apporter la lumière au monde alors qu’il est lui-même confronté aux obscurités de sa propre vie ? Étrangement, c’est dans ce paradoxe que le chrétien peut trouver une grande joie. Il y a une joie profonde à découvrir que : « c’est bien par la grâce que vous êtes sauvés. Cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu. »
Oui, frères et sœurs, cela ne vient pas de nous ! C’est Dieu qui se penche vers chacun d’entre nous pour nous donner tout ce qu’il est. Elle est là, la vraie joie ! Celle qui ne disparait pas avec les épreuves puisqu’elle se découvre au cœur de notre petitesse ; à la charnière entre notre faiblesse humaine et le cadeau de la vie éternelle. Rien n’est trop sombre pour empêcher le don de Dieu. Aucun cœur n’est suffisamment endurci pour résister à l’amour infini du Christ sur la croix. La joie est là, elle est à portée de main. Il nous faut simplement faire le pas qui nous revient, celui que Dieu ne peut pas faire à notre place, celui de l’écoute. La première écoute à remettre en place dans nos vies, c’est celle de la Parole de Dieu. On se dit souvent ça au début du carême : « ça serait bien que je prenne le temps de lire un peu plus la Parole de Dieu ». On se le dit un peu comme si c’était du bonus, comme si c’était la décoration qui vient orner un bon gâteau. Mais écouter la Parole de Dieu ce n’est pas du bonus, c’est vital ! Ce n’est pas le sucre glace décoratif, c’est l’aliment de base.
Ce temps du carême, c’est le temps de l’écoute. C’est le temps privilégié pour laisser la Parole de Dieu nous travailler. Voici un conseil bien concret que nous donne Charles de Foucauld dans une de ses lettres :
« Tachez de trouver le temps d’une lecture de quelques lignes des Saints Evangiles, en prenant chaque jour à la suite, de manière qu'en un certain temps ils passent entièrement sous vos yeux, et après la lecture (qui ne doit pas être longue : dix, quinze, vingt lignes, un demi- chapitre au maximum), méditez pendant quelques minutes mentalement ou par écrit sur les enseignements contenus dans votre lecture. Il faut tâcher de nous imprégner de l’Esprit de Jésus en lisant et relisant, méditant et reméditant sans cesse Ses paroles et Ses exemples : qu’ils fassent dans nos âmes comme la goutte d’eau qui tombe et retombe sur une dalle toujours à la même place[1] »
Il en faut des gouttes d’eau pour petit à petit creuser la dalle de granit de notre cœur. Mais à force de tomber, goutte après goutte, un creux se forme et l’eau vive est recueillie et peut nous abreuver.
C’est cette première étape, cette étape de l’écoute, que nous sommes appelés à vivre pendant ce temps du carême. Dès cette étape, le Seigneur nous offre la joie profonde d’entendre que nous sommes aimés infiniment de Dieu même si nous n’arrivons pas encore à faire toute la lumière sur nos vies. Mais cette joie en appelle une nouvelle et une plus grande encore : la joie du don de soi !
Si le temps du carême est le temps de l’écoute, le temps pascal sera le temps de la réponse par le don de soi. Mais patience, encore 3 semaines !
Alors voilà le programme frères et sœurs : nous mettre à l’écoute de la Parole de Dieu pour gouter dès à présent la joie d’être aimé en vérité. Et ne pas oublier que cette écoute doit s’accomplir dans le don de soi toujours renouvelé. Qui sait, peut-être que l’Esprit-Saint nous fera découvrir pendant ce carême, les lieux où il attend que nous nous donnions. Amen.
Père Thibault de Bruyn
[1] Charles de FOUCALD, Lettre à Louis Massignon, 22 juillet 1914 in Œuvres Spirituelles, Ed. du Seuil, Paris, 1958, p.143.